Cet article illustre l'impact de la socialisation différente selon le sexe durant l'enfance, sur l'exercice des rôles hommes/ femmes à l'âge adulte.
Tâches ménagères : les inégalités ont la vie dure
LE MONDE | 29.10.201Si les emplois du temps des femmes et des hommes ont convergé ces trente-cinq dernières années, les premières continuent d’assumer les deux tiers du travail domestique. Plus inquiétant : le rapprochement des emplois du temps a tendance à se ralentir, ce qui pourrait annoncer qu’un palier est en voie d’être atteint.
(...) « L’essentiel du mouvement de convergence se fait dans les années 1970 et 1980 »,confirme Cécile Brousse, l’une des auteurs de l’étude. Dans le détail, on remarque que cette convergence est liée à la baisse du temps consacré au travail rémunéré chez les hommes (montée du chômage, part croissante des retraités) et au fait que les femmes passent de leur côté moins de temps à s’occuper du foyer.En d’autres termes, « ce sont les femmes qui font la plus grande partie du chemin », résume Cécile Brousse. Sur l’ensemble de la période, « les citadines consacrent dix heures de moins par semaine » aux tâches domestiques, établit l’Insee. Phénomène à la fois imputable à des éléments sociodémographiques (hausse du niveau d’étude, du taux d’activité, de la part de femmes vivant seules et diminution du nombre d’enfants par femme), mais aussi, et pour moitié, à d’autres facteurs tels que « la très forte diminution du temps consacré à l’entretien des vêtements » (moins deux heures par semaine en moyenne). Oubliés le tricot et la couture : le rapiéçage a perdu de son attrait face aux vêtements bon marché. De même, la lessive à la main est de plus en plus rare et le repassage est devenu facultatif sur des vêtements fonctionnels comme le jean.
Externalisation des tâches
Ce n’est donc pas tant que les hommes en font plus (même si, de fait, ils consacrent trois heures et demie supplémentaires par semaine aux tâches domestiques) mais qu’une part croissante des tâches s’est déplacée à l’extérieur des ménages, « ce qui a permis aux femmes de se détacher de la sphère familiale et de vivre de manière plus indépendante », dit l’Insee.Mais, et ce n’est pas le moindre des paradoxes, ce sont aussi les femmes qui ont assumé cette externalisation : « Une part importante de la population féminine, en partie libérée des tâches ménagères, a occupé les postes créés » dans le secteur du ménage, de l’aide à la personne, de l’accueil des jeunes enfants, des activités récréatives ou encore de la restauration.
Dans ses travaux, Cécile Brousse évoque à ce titre un « régime libéral » dans lequel les femmes les plus aisées se déchargent (notamment vers une main-d’œuvre féminine étrangère), tandis que les hommes continuent de limiter leur implication dans les tâches les moins gratifiantes.
Les mères continuent d’assumer 65 % des tâches parentales
C’est d’ailleurs une autre observation majeure que fait l’Insee sur ces trente-cinq dernières années : si les hommes, pris dans leur globalité, demeurent réfractaires à la vaisselle et à l’entretien du linge, ils consacrent en revanche cinquante minutes de plus par semaine aux enfants, « l’essentiel de cette évolution s’étant produite au cours de la dernière décennie », précise l’étude. Sans surprise, ce sont surtout les activités de jeux, de conversation et d’aide à l’apprentissage que les pères privilégient, c’est-à-dire celles qui procurent le plus de satisfaction.
Au bout du compte, les mères continuent d’assumer 65 % des tâches parentales. Ce qui, rappelle l’Insee, pèse sur leur activité professionnelle, et se traduit par des interruptions de carrière et des journées de travail plus courtes. Avec, à la clé, des inégalités de salaire et la persistance d’un « plafond de verre »
« Pourquoi les hommes et les femmes effectuent-ils des choix aussi conformes à la tradition ? », s’interrogent les chercheurs. En effet, même lorsque les femmes investissent fortement le marché du travail, voire lorsqu’elles gagnent plus d’argent que leur conjoint, « on n’observe pas le renversement des rôles qu’impliquerait une répartition des tâches efficiente ». Il existe bien un quart des couples dans lesquels l’homme fait davantage de travail domestique et « ce sont plutôt des couples où l’homme est au chômage ou des couples où les deux conjoints travaillent et où il y a des contraintes horaires », analyse la démographe Ariane Pailhé.
Les normes de genre restent donc prédominantes, même chez les jeunes générations, puisque l’Insee observe une implication précoce des filles dans les tâches tournées vers l’entretien des membres de la famille. Or, ce sont bien ces normes qui recèlent les futures marges de progression, une fois épuisées celles issues de l’automatisation des tâches ménagères et de la progression du taux d’activité des femmes (...).
- Julia Pascual
Journaliste au Monde
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